Témoignage d'un aumonier de prison

Je suis aumônier catholique de la maison d’arrêt de VALENCIENNES et je fais partie d’une équipe d’aumônerie de 8 personnes. À cette équipe viennent se joindre des prêtres et une dizaine de personnes acceptant d’assister aux célébrations une fois par mois. De mon engagement en tant qu’aumônier de prison, C’est à partir de 5 mots, 5 verbes que je vais vous partager ce qui me motive à rencontrer cette population, ce milieu méconnu, mais tellement riche d’enseignements.

Appeler :
La prison était loin de mes préoccupations. Durant plusieurs mois un prêtre m’a interpellé pour l’accompagner en prison en disant « viens et vois » Comme dans l’évangile de Jean, Ch.1 de Philippe à Nathanaël ; je n’avais vraiment pas envie de m’y rendre, avec les préjugés qui étaient les miens et certainement ceux de beaucoup de personnes. De cet appel pressant j’ai accepté d’aller à la découverte de ce monde, porteur de tellement de craintes alimentées par la méconnaissance des médias; j’y suis rentré ; je n’en suis pas ressorti ;
Répondre à un appel, se laisser interpeller par une personne ou que cet appel vous travaille en votre for intérieur, c’est accepter en toute liberté d’aller à la découverte, c’est aussi faire confiance à celui qui vous appelle ;
Les personnes de l’équipe de l’aumônerie catholique, comme moi, ont répondu à cet appel à aller à la rencontre de l’autre, à donner de leur temps, en toute simplicité ;
Être appelé, c’est aussi peut-être être reconnu.
Quel sentiment de bien-être nous envahit de voir ces personnes détenues sourirent, le plaisir qu’ils ont à se retrouver, à nous retrouver et à se sentir reconnus. Ils sont sources de joie entre eux et pour nous ;
Le pape Jean-Paul II nous disait « oser » ;
Oser appeler fait partie de notre mission sur cette terre
Oser appeler pour proposer de découvrir que l’homme est aussi porteur du bien ;
Oser répondre à l’appel qui nous est adressé, en faisant confiance et avec l’espoir d’une ouverture pour les autres et pour nous.

Accueillir :
Ce sont les détenus qui nous accueillent en acceptant de venir librement aux partages.
L’aumônerie catholique a pour mission première d’accueillir ces personnes qui sont demandeurs; comme le bon samaritain, nous voulons être une présence, une main tendue, un sourire de bienveillance, être serviteur, savoir écouter ce qu’ils vivent, qui ils sont, être un réconfort en leur disant qu’ils ne sont pas seuls et que des hommes et des femmes pensent à eux ;
Les accueillir avec leur personnalité, avec leurs talents ; Nous ne savons pas lors de la première rencontre à qui nous avons à faire ; nous faisons confiance ;
Nous ne sommes pas là pour les juger et nous n’avons pas à savoir ce qu’ils ont fait. L’équipe d’aumônerie, veut être signe de l’Amour de Dieu pour tous les hommes, certains qu’ils peuvent compter sur celui qui leur a tout donné gratuitement.

Partager :
Partage de la parole de Dieu une fois par semaine et comprendre ce que ces paroles d’évangile nous révèlent ;
Nous relisons leur histoire à la lumière d’un évangile ou d’un texte. Nous échangeons sur ce qu’ils vivent et découvrons comment ces paroles d’évangile sont le reflet de ce qu’ils sont et de ce que leur demande et propose le Seigneur. La parole de Dieu n'est pas une Parole extérieure à leurs vies, mais elle atteint les zones les plus sombres de leurs coeurs ;
Ils prennent conscience qu’il y a quelqu’un qui les aime encore.
Ils découvrent qu’ils ont le choix de grandir et que cela tient à eux seuls. Encore faut-il vouloir croire ?
Nous nous rassemblons dans un lieu qui leur est réservé, où ils vivent des moments de communion, et comprennent l’importance des mots qu’ils disent tels que : humilité, confiance, partage, écoute, pardon, amour,…
Partager sur un avenir prometteur si ils le veulent mais en n’oubliant pas ce pourquoi ils sont là.
Nous ne sommes pas là pour leur imposer ; mais à travers la mission qui nous est donnée, l’Église veut être force de proposition ; force d’un avenir possible, avec un chemin de paix, de joie proposé à travers les évangiles, en se laissant travailler par l’Esprit Saint.
Partage de la prière du « Notre Père » qui dit ce que nous avons vécu dans les partages.
Partage sur ces temps d’incarcération où l’attente est mise à profit pour se reconstruire, mieux se connaître, se poser les bonnes questions en vue de leur libération.
Nous leur rappelons aussi qu’ils sont là pour une ou plusieurs raisons. La reconnaissance par l’auteur d’un fait, qu’il y a aussi dans certains cas une victime qui souffre comme eux, est aussi un chemin de guérison ;

Découvrir :
Quelle découverte cela a été ! : Dans ce lieu spécial, j’ai vu, ressenti, découvert ce qu’est l’humain nu dans sa pauvreté, qui n’a plus rien ;
C’est avec ces hommes et ces femmes que je prends conscience de mes faiblesses, des choses réellement importantes dans ma vie ; nous sommes bousculés dans nos vérités; je suis touché par les rencontres que j’ai avec eux, et je touche ce qu’il y a de plus profond dans l’être humain : un être qui demande à être aimé, coeur qui demande à être entendu, des faiblesses à exprimer, de l’humilité, de la sagesse mais aussi de l’espoir pour certains.
Etre porteur du message d’espoir, de la bonne nouvelle de Jésus-Christ et pouvoir dire qu’il y a quelqu’un qui nous aime encore plus fort : Dieu. Nous sommes appelés(les détenus comme nous) à vivre pleinement un chemin de vérité, de paix qui nous est proposé.
Dans cette enceinte de privation de liberté nous faisons Eglise et nous vivons des moments forts d’Eglise, avec une vraie fraternité, que je ne soupçonnais pas avant ; ces personnes savent respecter l’autre, ils prennent conscience que l’autre est important ;
Joie aussi de vivre avec certains détenus cette redécouverte du Seigneur. C’est aussi à travers eux que je rencontre le Seigneur.
Faire tomber un enfermement en donnant la parole, quelle joie !
Ces détenus découvrent qu’il y a toujours du bon dans l’homme, et que tout homme est sur cette terre pour quelque chose. Ils découvrent qui ils sont et nous montrent qu’une parole de réconfort est plus importante que bien des choses matérielles ;
Ce qui me paraît encore important aujourd’hui et ce à quoi j’ai toujours cru : la relation à l’autre est primordiale. Dans les échanges avec les détenus, la parole est première ; elle ne peut exister que dans une relation avec l’autre, avec une confiance entre nous.
J’ai découvert aussi ce que peut produire l’isolement où l’individu est confronté à lui-même et je prends conscience (comme eux) que je ne suis moi-même que par les autres. Ne pas pouvoir aimer, ne pas être aimé n’est pas dans la nature humaine. La détresse de l’homme seul peut aboutir à l’irréparable. L’homme est fait pour vivre en société, il ne peut pas vivre seul, sauf à s’aliéner. L’isolement du détenu qui n’a personne à qui s’adresser, est destructeur de sa personnalité ; prenons en acte ! Pour ces personnes que nous recevons, le traumatisme est réel avec toutes ses conséquences : trouble du sommeil, prise abusive de somnifère, trouble de la concentration, éloignement des autres, de la famille, rejet, dévalorisation de soi, à la merci d’une population carcérale inconnue, tentative pour oublier ; bref tout un bouleversement de la personnalité, allant jusqu’à la dissociation d’identité. Il est facile d’ignorer ces lieux d’exclusion, de s’en détourner.
Ce lieu d’incarcération est révélateur des problèmes de notre société : le manque d’éducation chez les jeunes, le milieu familial défavorisé, le manque de repères et de valeurs ; plus de 60% des personnes incarcérées n’ont pas de religion ; la drogue, l’alcool qui est la cause de 80% des infractions. Le mal entraine le mal ;

Donner (et recevoir) :
Se sentir utile, en donnant gratuitement de son temps, en essayant d’apporter un réconfort moral à ceux qui en ont besoin.
Je peux dire que dans l’engagement pris auprès de cette population très démunie, il y a beaucoup à donner et je reçois énormément. L’on ne peut pas rester indifférent lorsque l’on vit ces instants de pauvreté matérielle de l’homme nu, sans rien, privé de cette liberté. Mais ces personnes sont tellement riches d’humilité, de respect, qui disent simplement avec leurs mots pleins de vérité ce qu’ils vivent de détresse, de souffrance et qui apprennent encore à espérer, à s’attacher à ce qui leur reste encore de croire.
Donner à chaque fois que je peux lors des rencontres ces moments de liberté, d’échange, d’écoute de l’autre me dit ce à quoi nous sommes appelés et à renouveler dès que nous le pouvons.
Nous sommes signes de la présence de Dieu lorsqu’elle va à la rencontre de l’autre sans distinction, ni jugement comme le Christ qui ne juge pas la femme adultère.
Je comprends que donner la possibilité aux personnes de s’exprimer, de reconnaître leurs talents est une richesse pour leur avenir mais en n’oubliant pas ce pourquoi ils sont là.
Ils découvrent ce qui est important dans le mot « vivre « : humilité, sagesse, prendre le temps, être ensemble, beauté, confiance, partage, écoute, pardon, amour,…


La mission auprès des plus démunis est une aventure humaine à vivre ; elle est révélatrice de ce à quoi nous sommes appelés : accueillir, donner, partager, découvrir qu’il y a un amour plus fort : Dieu.
L’homme n’est pas sur cette terre pour vivre seul, ; Ne pas pouvoir aimer, ne pas être aimé n’est pas dans la nature humaine et c’est à travers l’autre que je peux exister.

 

Vidéo du témoignage de Michel ANDRE lors de la neuvaine du St Cordon de 2021, concernant les actions de l’aumônerie catholique des prisons :

 

Article publié par Service communication • Publié le Jeudi 06 janvier 2022 • 1408 visites

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